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Le Dessinateur Audacieux

Renata Libal

L’Hebdo – No 17 – 27 Avril 1995 – VIET NAM 20 ans après en six portraits – page 33

Sirotant du thé âpre dans la galerie qui le représente à Ho Chi Minh-Ville, le caricaturiste Choe exhibe un petit bouquin fatigue, relique de sa notoriété passée. Et de sa morgue. Publié en 1973 en Californie, le recueil reproduit les plus acerbes des caricatures don’t Choe a gratifié la press du Sud Vietnam: Kissinger mal fagoté en hippie pacifiste. Un soldat armé d’un biberon. Le Duc Tho et Kissinger batifolant sur un cheval à bascule, plutôt que de faire avancer les négociations. Il manque des pages au livre qu’un ami attentionné à caché durant des années pour l’offrir, tout récemment, à son auteur. L’ami n’était pas fou: il a consciencieuseument découpé tous les dessins qui fustigeaient les communistes. Choe feuillette son livre avec une lueur de fierté – mais aussi d’incrédulité dans le regard. Se peut-il seulement qu’il avait un jour tant osé ? En comparaison, son crayon actuel est méchamment émoussé: “Des sujets culturels, des traits de la société vietnamienne – jamais la politique.”

On comprendre sa prudence. Fils de paysans du delta du Mékong, Nguyen Hai Chi (son vrait nom) a découvert la ville, la politique et la presse, le jour où il a été enrolé, en 1964. Il avait 19 ans, des yeux tout neufs et le cynisme du pouvoir lui semblaient impossible à avaler. Il s’est mis à les dessiner avec mordant. Las, les gouvernements autoritaires rarement le sens de l’humour, surtout, pas noir. Un jour au début de 1975, Choe s’est retrouvé en prison pour de prétendues sympathies communistes. Il a été libéré lors de l’armistice. Puis le parti l’a envoyé en camp de rééducation pour douze ans, dans les hauts plateaux de la jungle vietnamienne. Il ne parle pas de ces annéés-là. Il sourit juste, un peu tristement, et dit que l’épreuve a été dure pour sa femme et ses quatre enfants. Quand il a été libéré, elle n’avait qua la chemise qu’elle portait, survivant grâce au traffic de riz. Choe a voulu fuir le pays. Dénoncé, il en a repris pour deux ans. ”Jamais je n’ai été jugé et je ne crois pas avoir fait quoi que ce soit d’illégal…”

La vie a pourtant fini par s’adoucir. “Je n’ai jamais décidé de rien. Les événements m’ont toujour bailloté. Autant l’admettre et laisser faire le destin.” Ses peintures peu dérangeantes – des portraits sarcastiques de présidents américains, par exemple, ou des caricatures sur la femme asiatique – se vendent ma foi fort bien, surtout aux étrangers de passage. Choe possède une maison, une voiture. Et tant pis si, dans la presse vietnamienne, un dessin sur quatre lui est refusé. “Il n’y a pas vraiment de tabou, explique-t-il. Simplement, on peut dire certaines choses un jour et plus de lendemain. Et il y a la manière. Mais je me sens plus libre qu’avant…C’est du moins ce que je veux croire…”

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